Beauté sans risque : que contiennent nos cosmétiques ?
Beauté sans risque : que contiennent nos cosmétiques ?
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Avant que l'Union Européenne ne s'apprête, la première, à mettre en place une réglementation pour lutter contre les perturbateurs endocriniens, faisons un petit état des lieux de nos cosmétiques pour ne pas céder à la psychose, tout en étant bien informée.
Une étude menée sur 15 000 produits de beauté-hygiène affirmait que 40 % de ces derniers contenaient au moins un perturbateur endocrinien. De quoi nous affoler quand, tous les matins, on pioche dans nos pots et nos tubes pour se faire belle ! En effet, une routine quotidienne de « bonne élève » beauté peut parfois atteindre une quinzaine de produits (shampoing + après-shampoing + savon + crème de jour + déodorant + dentifrice…). Nous voilà donc en contact plus ou moins prolongé avec des centaines de substances. Avant d’aller plus loin, il nous paraît indispensable de préciser que ces perturbateurs endocriniens sont partout. On les trouve aussi dans de multiples produits de la vie quotidienne : meubles en panneaux de particules, sols en plastique, contenants alimentaires, textiles d’ameublement, ordinateurs, tapis…
Si les cosmétiques sont actuellement sur la sellette, c’est parce que la publication de cette étude, abondamment relayée par les médias et commentée sur le Net, a coïncidé avec la remise officielle d’un rapport commandé par les pouvoirs publics sur la stratégie nationale concernant les perturbateurs endocriniens. Un débat qui fait écho à celui qui agite actuellement les experts de la Commission européenne devant statuer sur la définition de ces molécules avant la fin de l’année. Une décision très attendue par les toxicologues, les lanceurs d’alerte et les industriels, car elle conditionnera l’avenir de ces substances dans les produits vendus en Europe...
Du côté des fabricants de produits d’hygiène et de beauté, il faut avant tout rappeler que, strictement encadrés par le Règlement européen Cosmétiques, ils sont responsables de la formulation de leurs produits et de leur innocuité. Au cours des années, la notion de dangerosité évolue en fonction des découvertes scientifiques et médicales. C’est ainsi que des substances estimées inoffensives se voient ensuite éliminées. Longtemps, par exemple, les parabens, une famille de molécules surveillée de près aujourd’hui, ont été considérés comme des conservateurs idéaux dont une dose infinitésimale suffisait à empêcher nos crèmes de se transformer en bouillons de culture, pour notre plus grand bénéfice. Dès lors, faut-il bouleverser nos habitudes de consommation ? Doit-on s’inquiéter ? Pour apaiser les esprits, concilier plaisir et sécurité, nous avons voulu faire le point. Voici ce qu’il faut savoir pour faire un choix éclairé dans les linéaires.
UN PERTURBATEUR ENDOCRINIEN, C’EST QUOI ?
Selon l’Organisation mondiale de la santé et le PNUE (Programme des Nations unies pour l’Environnement), « il s’agit de substances qui peuvent perturber une ou plusieurs fonctions du système endocrinien qui régule la sécrétion d’hormones essentielles ». En « brouillant » les messages hormonaux, ces substances issues de la chimie de synthèse sont suspectées d’avoir un impact sur la fertilité, d’être liées à l’augmentation des maladies thyroïdiennes et des cancers hormono-dépendants (principalement ceux du sein et de la prostate). Toxicologue et auteur de « Toxique Planète » (« Toxique Planète. Le scandale invisible des maladies chroniques » éd. du Seuil), André Cicolella estime que « le principe de précaution devrait s’appliquer a minima pour les bébés, les enfants, les femmes en âge de procréer et les femmes enceintes ».
Une position partagée par le Dr Pierre Souvet, président de l’association Santé Environnement France. Le problème, c’est qu’il n’existe pas aujourd’hui de liste arrêtée qui fasse consensus et que la définition même des perturbateurs endocriniens reste en suspens en attendant la décision de la Commission européenne, prévue à la mi-décembre. En pratique, on les trouve dans l’alimentation, le mobilier, les matériaux de construction, les produits ménagers, les textiles, les plastiques et les cosmétiques… Il faudrait donc autant suspecter son canapé que sa crème, sa peinture que son pull-over, son nettoyant ménager que son film alimentaire.
PEUT-ON FAIRE CONFIANCE AUX GRANDES MARQUES ?
Oui. « L’objectif de tous les fabricants de cosmétiques est de mettre sur le marché des produits sûrs, efficaces et de qualité », rappelle Patricia Pineau, directrice de la communication scientifique de L’Oréal. Les grands de la cosmétique suivent des règles extrêmement strictes. « Chez LVMH, nous procédons à
des tests in vitro. S’il y a un potentiel de liaison entre une substance et des récepteurs hormonaux, la substance est aussitôt “blacklistée” », explique Edouard Mauvais-Jarvis, directeur de la communication scientifique de Christian Dior Parfums.
des tests in vitro. S’il y a un potentiel de liaison entre une substance et des récepteurs hormonaux, la substance est aussitôt “blacklistée” », explique Edouard Mauvais-Jarvis, directeur de la communication scientifique de Christian Dior Parfums.
Chez L’Oréal, la démarche est similaire. « Proposées par un fournisseur ou issues de nos laboratoires, toutes les nouvelles substances sont passées au crible via une batterie de tests », souligne Patricia Pineau. En parallèle, les unités des services Recherche et Développement et Toxicologie (près de 4 000 personnes chez L’Oréal, 260 personnes chez LVMH Parfums & Cosmétiques) procèdent en permanence à une veille sanitaire, scientifique et sociétale. Un doute émis par le service de toxicologie ? La substance est aussitôt écartée. Lors de la formulation, tant les ingrédients que les différents paramètres d’utilisation (dose, temps de contact et zone d’exposition) sont intégrés dans une analyse globale de chaque produit. Puis, les labos appliquent une marge de sécurité de cent à mille par rapport à la dose autorisée.
Françoise Audebert, toxicologue et conseillère scientifique de la Fédération des entreprises de la beauté, rappelle que « les formulations des produits d’hygiène et de beauté évoluent en permanence en fonction des connaissances scientifiques ». Enfin, il faut souligner le travail réalisé en amont par les grands fabricants. « Nous essayons en permanence d’anticiper la réglementation, ajoute Edouard Mauvais-Jarvis. Si une molécule est dans le collimateur des autorités en France, aux Etats-Unis ou ailleurs, nous devançons au maximum leur décision en retirant cette molécule afin d’assurer à nos consommateurs des produits qui garantissent sécurité, plaisir, bien-être et hygiène. » N’oublions pas que les fabricants de cosmétiques ont tout intérêt à traquer les substances agressives car ils vivent de la con fiance de leurs utilisatrices.
LES PERTUBATEURS ENDOCRINIENS SONT-ILS TRÈS PRÉSENTS DANS LES COSMÉTIQUES ?
Non, pas tant que cela. L’enquête de Noteo constate que 60 % des cosmétiques ne contiennent pas de perturbateurs endocriniens, contre 40 % qui en recèlent au moins un. Depuis une décennie, ces substances dangereuses sont progressivement éliminées par les fabricants au fur et à mesure des découvertes scientifiques. Chez L’Oréal, le triclosan et le diéthylphtalate (DEP) ont totalement disparu des formules en 2010. Chez Christian Dior Parfums, les parabens, le triclosan, le BHA (hydroxyanisole butylé) et les phtalates ont été supprimés. Quant à Procter & Gamble, il vient d’annoncer qu’il supprimait les phtalates et le triclosan de l’ensemble de ses produits. D’autres substances inopportunes sont malheureusement identifiées au fil du temps par les spécialistes, suite aux progrès de la science.
C’est peut-être pour cette raison que les fabricants plaident « pour une position plus directive des autorités », comme le dit Edouard Mauvais-Jarvis, qui poursuit en se demandant « s’il ne serait pas plus simple d’interdire purement et simplement certaines molécules en cas de soupçons ».
C’est peut-être pour cette raison que les fabricants plaident « pour une position plus directive des autorités », comme le dit Edouard Mauvais-Jarvis, qui poursuit en se demandant « s’il ne serait pas plus simple d’interdire purement et simplement certaines molécules en cas de soupçons ».
PEUT-ON ÉVITER LES MOLÉCULES INCRIMINÉES ?
Depuis juillet dernier, l’ensemble des ingrédients présents dans une formule doit être listé sur l’étiquette ou l’emballage du produit. Seul hic, sans doctorat de chimie, difficile d’analyser une étiquette. Parmi les molécules sur la sellette, on peut citer le diéthylphtalate (DEP), utilisé comme solvant ou dénaturant dans l’alcool. Les parabens, conservateurs synthétiques, sont également montrés du doigt. Cela étant, si les parabens à chaîne longue (butylparaben et propylparaben) sont soupçonnés par l’Inserm d’être des perturbateurs endocriniens chez l’homme, leurs petits frères à chaîne courte (méthylparaben et éthylparaben) semblent sans danger.
Le triclosan, antifongique et antibactérien à spectre large, est lui aussi soupçonné d’être un perturbateur endocrinien. Enfin, le BHA, un antioxydant, a été classé comme perturbateur endocrinien et substance prioritaire par la Communauté européenne. Reste que le remplacement des molécules ne se fait pas sans difficulté. Ainsi, le MIT (méthylisothiazolinone), un conservateur qui a parfois remplacé les parabens, qui semble très allergisant et a suscité une mise en garde de la Société française de dermatologie. Face à ces molécules, heureusement de moins en moins fréquentes dans les produits, le principe de précaution commande d’opter pour les produits des grands fabricants et les produits bio, ainsi que de
faire ses courses dans les circuits traditionnels de distribution.
faire ses courses dans les circuits traditionnels de distribution.
LA COSMÉTIQUE BIO EST-ELLE PLUS SÛRE ?
Très encadrée, la cosmétique bio (certifiée par les labels Ecocert, Cosmébio, BDIH ou Nature & Progrès) renferme infiniment moins de perturbateurs endocriniens. Ainsi, d’après Noteo, seulement 1,3 % des produits d’hygiène-beauté écolabellisés contiennent des substances perturbatrices du système hormonal.
Attention, cependant, à l’angélisme ! Ce n’est pas parce qu’un produit est d’origine 100 % végétale qu’il est sans danger : il suffit de penser à la fleur de digitale, hautement toxique. D’autre part, ce n’est pas parce qu’un produit est labellisé bio qu’il ne peut pas susciter de réactions de la peau. Les huiles essentielles et l’alcool, utilisés comme conservateurs naturels dans certains cosmétiques bio, peuvent ainsi avoir une action allergisante. Le plus intéressant, ce sont les passerelles qui s’établissent entre bio et non bio.
Attention, cependant, à l’angélisme ! Ce n’est pas parce qu’un produit est d’origine 100 % végétale qu’il est sans danger : il suffit de penser à la fleur de digitale, hautement toxique. D’autre part, ce n’est pas parce qu’un produit est labellisé bio qu’il ne peut pas susciter de réactions de la peau. Les huiles essentielles et l’alcool, utilisés comme conservateurs naturels dans certains cosmétiques bio, peuvent ainsi avoir une action allergisante. Le plus intéressant, ce sont les passerelles qui s’établissent entre bio et non bio.
Certains conservateurs existent d’ailleurs à l’état naturel. Des chercheurs japonais ont découvert des traces de méthylparaben naturel produit par les abeilles qui expliquent la très longue conservation du miel et de la gelée royale. « La chimie verte et les biotechnologies sont en train de révolutionner la chimie classique car la nature est une source d’inspiration et à l’origine de nouveaux ingrédients, précise Patricia Pineau. Par exemple, les huiles essentielles, qui peuvent comporter jusqu’à cent vingt molécules chimiques différentes. En les analysant et en les caractérisant, on découvre de nouveaux actifs potentiels que nous pourrons utiliser à moyen terme dans les produits cosmétiques traditionnels non bio. » La cosmétique bio ouvre donc de nouvelles voies à la cosmétique et offre une alternative à certaines molécules de synthèse.
EST-IL POSSIBLE D’ÉVITER CES MOLÉCULES DANS SA SALLE DE BAINS ?
Oui, à condition de commencer par retirer les rideaux de douche en plastique, bourrés de phtalates, première source de contamination dans la salle de bains… Enfin, tous les toxicologues et lanceurs d’alerte interrogés partagent un même optimisme. « On peut même parler de bonnes nouvelles, ose André Cicolella. Les lignes bougent, on commence à comprendre ce qui se passe et on sait maintenant qu’on peut agir au niveau individuel. »
L’ÉTUDE EN QUESTION
L’étude qui a fait les gros titres des médias a été menée par l’agence Noteo avec le Réseau Environnement Santé. Fondée en 2008 par Baptiste Marty, Noteo est une association qui souhaite éclairer les choix des consommateurs. Ce n’est pas un organisme public contrôlé par l’État. Elle a entrepris d’analyser des dizaines de milliers de produits de consommation courante (hygiène-beauté, alimentation, détergents ménagers, boissons…) afin de leur attribuer une note composée de quatre critères : santé, environnement, social et budget. Si leur étude sur les perturbateurs endocriniens a fait beaucoup de bruit, elle soulève toutefois quelques questions. En effet, les ingrédients de chaque produit, récupérés via des bases de données et des achats en magasins, ont été auto-évalués par Noteo, avant d’être intégrés dans une note globale. Pour Françoise Audebert, toxicologue à la Fédération des entreprises de la beauté, « cette approche peut donner de facto une note positive à des molécules nouvelles, mal connues, et qui n’ont encore suscité que peu de publications scientifiques ». Une initiative qui demande donc à être confirmée par d’autres études.
LA FRANCE EN TÊTE DU COMBAT
En mai 2011, une proposition de loi a été adoptée à l’Assemblée nationale visant à interdire l’utilisation des phtalates, des parabens et des alkylphénols en France. Cette initiative des parlementaires a mis en lumière le problème des perturbateurs endocriniens. A l’issue de la Conférence environnementale de 2012, le gouvernement a chargé un groupe de travail, regroupant ONG, experts, associations de consommateurs, lanceurs d’alerte et représentants des entreprises, de faire des propositions (recherches, études épidémiologiques, surveillance de l’environnement…), afin de définir une stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens. En septembre dernier, le rapport de ce groupe de travail a été officiellement rendu puis soumis à consultation publique. La France, à la pointe du combat contre les perturbateurs endocriniens au niveau européen avec le Danemark, espère faire pression sur les instances européennes pour encadrer et/ou interdire au plus vite ces substances dans l’Union européenne.
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